Patrice Pattegay, sociologue – Cet article de juillet 1998 a servi de support à la conférence.
Les problèmes de la drogue
La politique de lutte contre la drogue, telle qu’elle s’est édifiée et consolidée au cours du 20ème siècle, est bien loin d’avoir atteint ses objectifs explicites. Le commerce des stupéfiants dont des dispositions visaient la quasi disparition apparaît au contraire favorisé par les dispositions prises. On sait que l’existence de telles marchandises génère du profit sur des marchés qui échappent aux règles dominantes du commerce national et international, assurant ainsi la subsistance ou la fortune de populations qui ne sont guère disposées à – parce que ne disposant guère d’atouts suffisants pour – respecter les règles d’un jeu auquel elles ont toutes les chances de perdre. Et ce ne sont pas les progrès sociaux que cette fin de siècle a accompli qui peuvent nourrir l’espoir que l’offre se tarisse.
Passons de l’offre à la demande. Les stupéfiants, le tabac, l’alcool et les médicaments de l’esprit partagent des propriétés communes. Si les substances psychoactives licites que sont l’alcool, le tabac et les médicaments de l’esprit, ont tant de succès à notre époque, c’est bien parce qu’elles ont des propriétés particulières répondant à des demandes et à des fonctions spécifiques. Ces propriétés, ces demandes et ces fonctions sont bien évidemment présentes du côté des substances psychoactives illicites que sont les stupéfiants. Au vu de l’importance de la consommation des unes, il apparaît risqué de parier sur la diminution de la consommation des autres.
Les logiques actuelles n’étant ni du côté de la pénurie ni du côté de l’abstinence, on doit s’interroger sur les conditions qui à la fois en favorisent l’expression et en accentuent les dangers. L’objet de cet intervention n’est que d’en explorer partiellement certaines, par l’intermédiaire d’une lecture de la drogue assez singulière. On tentera ici de montrer que la politique de lutte contre la drogue participe du problème à traiter plutôt qu’elle n’en découle. Que ce n’est pas en repérant dans notre société un problème de la drogue qu’on est le mieux armé face aux logiques précédemment évoquées. Que c’est parce que nous voyons le plus souvent dans notre société un problème de la drogue que les armes dont nous disposons semblent se retourner contre nous. S’interroger sur le problème de la drogue consistera alors à en montrer les dimensions idéologiques. La drogue, avant d’être un problème à résoudre, pourrait être une question qu’il conviendrait de poser.
De la drogue plurielle à des médicaments singuliers
A la une du journal télévisé de 20 heures, un journaliste annonce une saisie record de drogue. En haut de l’écran, comme pour appuyer l’information et introduire le reportage, figurent deux symboles : une seringue et une cuillère. Image suivante : douaniers et policiers sont filmés à côté de quelques tonnes de cannabis.
Sur France Inter, débat autour de la politique de prévention des risques. Question du journaliste au spécialiste invité : « Est-ce que la méthadone est une drogue ? ». Réponse du spécialiste : « Non (…) ». Insatisfait par la réponse et remarquant que la méthadone est un opiacé dont la consommation engendre une dépendance, le journaliste renouvelle sa question : « Est-ce que la méthadone est une drogue ? ». Réponse du spécialiste : « Oui (…) ».
Au cours d’un débat d’information sur la drogue adressé aux lycéens, l’un d’entre eux s’adresse au pharmacien présent à la table ronde dans les termes suivants : « Vendez-vous de la drogue ? ». Réponse non embarrassée du pharmacien : « Non, mais l’usage que certains clients font des produits que nous leur délivrons est tel que ces produits deviennent des drogues ».
Ces exemples – que l’on pourrait sans peine multiplier – sont à prendre très au sérieux. Ce ne sont ni des pratiques injustifiées, ni des erreurs sémantiques, ni des abus de langage. Ils témoignent, chacun à leur manière, de ce qu’est la drogue ; ils en déploient, dans des registres différents, la logique. Tirons-en quelques enseignements. Le cannabis peut être désigné à l’aide de symboles qui ne le symbolisent pas. La méthadone a pour caractéristique d’être et de ne pas être une drogue. Les clients des officines pharmaceutiques ont le pouvoir de transformer des médicaments en drogues.
A la « lumière » de ces quelques exemples on doit reconnaître la relative complexité qui caractérise toute consommation de drogue. Il est aisé de comprendre cette idée si on la réfère au premier des trois exemples évoqués : l’usage de cannabis à l’aide des ustensiles symboles de l’usage d’héroïne n’a rien d’évident. Pour la méthadone, la complexité est autre : il semble qu’à en consommer on consomme de la drogue et/ou on n’en consomme pas. Enfin, sous certaines conditions, on peut consommer des drogues en consommant des substances qui ne se sont pas vendues comme telles. Bref l’opération que l’on appelle consommer des drogues est une opération qui convoque des représentations, des jugements, des rapports normés et normatifs. Elle ne se réduit aucunement – pas plus que la toxicomanie – à la rencontre entre un produit, un individu et un contexte socioculturel. C’est à la condition de ne pas s’y réduire qu’une même substance, consommée dans des proportions relativement semblables, peut provoquer des effets à ce point différents. Pour le cannabis notamment, l’actualité récente nous a renseignés sur ses effets dopants, droguants ou soignants. Ne consomme pas de la drogue qui veut !
Ces propriétés, qui sont celles de la drogue, échappent radicalement à la chimie, à la pharmacologie ou à la neurobiologie. Pour ces disciplines, les propriétés d’une substance – de toutes substances – sont telles qu’elles ne dépendent pas des conditions sociales de leur utilisation (le sucre ne peut jamais saler ni le sel sucrer) ; et si une substance est désignée à l’aide du symbole d’une autre il ne peut s’agir, dans de telles perspectives, que d’une erreur à rectifier. En clair, une drogue n’est pas une substance au sens chimico-pharmaco-neurobiologique du terme, et il ne suffit pas de consommer une substance chimique, même si cette substance est un stupéfiant, pour consommer de la drogue.
La drogue a pour propriété d’être surdéterminée par les représentations de ses propriétés. Pour développer cette idée, le modèle médical de prescription d’opiacés est exemplaire. Lorsque la médecine fait valoir et met en œuvre une utilisation légitimée d’opiacés, elle déploie un discours radicalement différent de celui qui s’exprime sous le signifiant drogue. Le médicament est une substance susceptible d’usages raisonnés, orientés par des principes qui font l’unanimité (guérir, soulager…), dont la consommation peut être réglée par ordonnance, prescription, posologie… Autant de principes qui contredisent les représentations dominantes de la drogue, représentations qui attribuent aux substances ainsi qualifiées le pouvoir d’engendrer des usages que ni les consommateurs ni les pourvoyeurs ne peuvent commander.
En ce sens, l’utilisation médicale des opiacés n’est pas une utilisation de drogue, elle en serait plutôt l’envers. Les raisons en sont à la fois théoriques et pratiques. Compte tenu du sens que véhicule nécessairement le mot drogue, il n’est dans l’intérêt ni du médecin ni de son acte de signifier ainsi la substance qu’il délivre. Le mot médicament tient un tout autre discours sur la nature et l’efficacité du produit délivré. Et ce discours tenu par le mot médicament produit des effets matériels dont on peut penser qu’ils composent pour partie l’efficacité thérapeutique du placebo. Les signifiants drogue et médicament mobilisent des enjeux qui sont loin d’être purement discursifs.
Le modèle médical de prescription d’opiacés n’est pas une utilisation de drogue, mais dans les pratiques les choses ne sont pas aussi tranchées bien entendu. Des médecins prescripteurs de morphine ou de méthadone peuvent être accusés de prescrire des drogues alors même que ces derniers œuvrent à prescrire des médicaments. Si l’on veut rendre compte de ce décalage, on ne doit pas en chercher les raisons essentielles dans les propriétés pharmacologiques desdits produits. La prescription médicale de telles substances est le lieu de confrontation de séries signifiantes contradictoires. La série drogue, dépendance, toxicomanie attachée au nom de la morphine et de la méthadone ne disparaît pas radicalement sous la série médicament, ordonnance, thérapeutique, mais aujourd’hui cette dernière l’emporte largement dans les traitements anti-douleurs, et de façon plus nuancée dans les traitements de substitution[1].
Alors que la prescription médicale d’opiacés est perçue et représentée à dominante comme une prescription de médicaments (anti-douleur, de substitution), les usages hors prescription médicale des mêmes substances sont perçus et apparaissent généralement être des usages de drogue. Le mot drogue vient signifier l’illégitimité de l’usage de certaines substances en dehors de conditions réglementées et valorisées, il a pour propriété de désigner des produits et, dans le même temps, de proscrire leur usage. C’est ce sens du mot drogue qui fonctionne dans les formules célèbres : lutte contre la drogue, problème de la drogue. Le mot drogue légitime la lutte plutôt qu’il ne la définit, impose le problème plutôt qu’il ne le pose. La drogue c’est ce qui pose par définition problème et légitime de fait une lutte.
En première approximation, on peut dire que la drogue est un signifiant qui proscrit l’usage des substances qu’il représente quelles qu’en soient les conditions d’utilisation. La drogue n’est pas le nom d’une série de substances proscrites parce qu’on ne les consomme pas comme il faut (en dehors des conditions légitimées), c’est l’opération de proscription réduite à son résultat. Sous certaines conditions, il est des usages légitimes de stupéfiants, et lorsque ces conditions ne sont pas réunies le mot drogue apparaît (on devrait dire qu’il domine). Ce qui signifie qu’il n’est pas, à proprement parler, de conditions légitimes sous lesquelles des drogues sont consommées.
Drogue(s) et psychotropes
Bien entendu, il ne suffit pas que l’usage d’un produit soit proscrit pour qu’il devienne une drogue. Autrement dit, ce ne sont pas n’importe quels produits qui se voient qualifiés de drogues, un produit doit disposer nécessairement de propriétés objectives particulières pour être ainsi qualifié. Ces propriétés objectives sont généralement saisies et repérées sous le concept de psychotrope.
La neurobiologie fournit aujourd’hui les bases d’une qualification et d’une classification des psychotropes très largement adoptées. Schématiquement, ces substances sont définies comme étant susceptibles de modifier le fonctionnement habituel du système nerveux central en intervenant sur des récepteurs biologiques spécifiques, et distinguées en fonction de la nature de cette modification. Sans entrer dans le détail[2] de ce type de conceptualisation, on remarquera simplement que les substances dotées de telles propriétés sont nombreuses : les opiacés (morphine, méthadone), les psychostimulants (cocaïne, amphétamines), le cannabis, l’alcool, le tabac, les hallucinogènes et les benzodiazépines en font partie. Ajoutons que les perspectives neurobiologiques sont bien souvent alimentées par des perspectives psychologiques pour produire une classification des psychotropes en fonction notamment de la dépendance psychique et physique qu’ils engendrent. On repère cette logique à l’œuvre dans le Rapport du professeur Roques intitulé Problèmes posés par la dangerosité des « drogues »[3] remis récemment au gouvernement. Il y apparaît clairement que les propriétés qu’on reproche habituellement à l’héroïne sont très proches de celles de l’alcool, que la dangerosité des benzodiazépines est comparable à la dangerosité des hallucinogènes et du tabac, bref que la saisie objective (neuro-pharmaco-psychologique) des propriétés et des dangers des psychotropes ne correspond guère aux représentations juridiques et ordinaires en vigueur.
Comme on vient de le voir, la qualification psychotrope convient à de nombreuses substances, dont certaines sont massivement consommées (alcool, tabac, médicaments de l’esprit[4]). Lutter contre la drogue ne signifie donc pas lutter contre les psychotropes. On ne lutte pas contre l’alcool et le tabac mais contre l’abus d’alcool et de tabac. Et les services rendus par les médicaments de l’esprit sont indéniables. Une étude de l’INSEE et du CREDES – rendue publique le 27 avril 1994 – estimait à plus de 11% la proportion des adultes consommant en France, de manière régulière et souvent sur de longues périodes, un ou plusieurs médicaments de l’esprit.
Une substance doit être un psychotrope pour devenir une drogue, mais cette condition nécessaire n’est pas suffisante. Il manque quelque chose : un point de vue idéologique. Une drogue est un psychotrope représenté comme dépourvu d’usages légitimes. Une bonne drogue n’en est pas une, une mauvaise drogue est un énoncé tautologique. Et la drogue, quant à elle, est une fiction agissante sous laquelle on attribue à des substances des propriétés qui dérivent en fait de rapports. Des substances sont perçues et représentées comme ayant pour propriété d’être de la drogue, alors que ce sont les rapports différentiels entretenus vis-à-vis des ces substances qui décident du fait qu’elles le deviendront ou ne le deviendront pas.
Il n’y a pas de drogués sans drogue
Au prix de ces quelques déplacements, le problème de la drogue peut prendre une autre allure, et peuvent s’entrevoir de nouveaux problèmes qui engagent de nouvelles problématisations et dessinent les contours de nouvelles pratiques. Voir dans la société un problème de la drogue c’est accorder à certaines substances un statut d’exception qui justifie qu’on tente de les mettre à distance des hommes et du monde. Ce faisant, les substances en question se trouvent être à proximité des hommes et du monde alors même que les conditions d’une proximité normée par les valeurs sanitaires et sociales dominantes font largement défaut. Ne peut-on penser meilleure stratégie afin de réduire les effets mortifères de certaines substances autant qu’entraver l’expression des tendances mortifères de certains sujets ?
Sans doute faudrait-il, pour impulser une politique fondée en raison de lutte contre les dangers sanitaires et sociaux liés à la consommation des stupéfiants, cesser de lutter contre la drogue. Si la politique menée aujourd’hui à l’égard des stupéfiants s’habille souvent des attributs de la raison, son ressort essentiel naît de cette opération dogmatique édifiante qu’on appelle la définition juridique du stupéfiant : « est stupéfiant toute substance classée dans la catégorie stupéfiant ». Etre parvenu à donner de la consistance à cette opération au point qu’on puisse aujourd’hui, sans peine, repérer de la drogue et des drogués dans la société, c’est sans doute un des succès les plus éclatants de la politique de lutte contre la drogue. La force de cette opération dogmatique est d’avoir pris corps, d’avoir construit une représentation – la drogue – qui ne manque pas de réalité. La drogue a la consistance d’une représentation. Tenter de penser et de promouvoir une politique différente à l’égard des stupéfiants c’est d’abord se heurter à cette consistance.
Le constat a été fait que la valorisation de certains psychotropes dans des modèles et des rituels de consommation permettent d’en réduire les dangers. La chose est évidente lorsque la médecine domine ces valorisations, même si une partie des prescriptions médicales de médicaments de l’esprit ou de stupéfiants ne sont pas sans poser problème. Mais la médicalisation n’est pas la seule voie permettant de réaliser une domestication relative des psychotropes. Lorsque, observant les usages de l’alcool, on met en rapport la dangerosité pharmacologique attestée du produit – comparable à celle de l’héroïne selon le rapport Roques – et la proportion écrasante de consommations qui ne posent fondamentalement problème ni aux consommateurs ni à la société, on doit reconnaître le poids de la socialisation de l’alcool, soit l’efficace de modèles socio-normés de consommation. L’alcool garde bien entendu une forte dangerosité, mais celle-ci a été relativement domestiquée, et pourrait l’être davantage[5]. A la différence de la drogue, l’alcool ne pose pas problème, il pose des problèmes.
Derrière ces remarques, qu’il faudrait nuancer, il y a l’idée que les conditions idéologiques sous lesquelles des substances psychotropes sont consommées ont le pouvoir d’en accentuer ou d’en diminuer les dangers. Et par ailleurs, compte tenu des caractéristiques idéologiques de la drogue, la consommation de drogue ne peut pas ne pas poser problème, ne peut pas ne pas être représentée en problème, quelles que soient les manières de consommer les substances ainsi qualifiées. Au regard des valeurs de liberté, de responsabilité et d’autonomie (au nom desquelles la lutte contre la drogue bataille parce que ces valeurs paraissent menacées voire empêchées), bien des consommations de stupéfiants ne posent pas problème, au même titre que bien des consommations d’alcool. Mais le problème de la drogue permet de voir des problèmes là où ils ne sont pas. Pas étonnant alors que la drogue pose problème. Dire que la drogue pose par définition problème c’est dire qu’une partie au moins des problèmes qui se posent résultent de la manière dont ils sont posés. C’est donc notamment par la définition de la drogue – par son intermédiaire – que le problème de la drogue se pose.
Ces idées pourraient constituer des pistes à ne pas négliger dans la double perspective d’une évaluation et d’une transformation de la politique de lutte contre la drogue.
La politique de lutte contre la drogue n’est pas éternelle, et on voit aujourd’hui quelques signes de son affaiblissement. La force nouvelle de discours prônant la dépénalisation de l’usage des stupéfiants et la légalisation du cannabis en témoignent. Des conditions sont réunies pour que le cannabis cesse d’être un stupéfiant. Et si le cannabis cessait d’être un stupéfiant, des conditions seraient réunies pour que d’autres stupéfiants connaissent le même sort.
Alors qu’à l’égard de la drogue il est, par construction, impossible de valoriser certains usages, l’actualité nous amène à penser qu’il faudra réaliser cet impossible à l’égard du cannabis, soit, réfléchir aux conditions sous lesquelles le cannabis peut cesser d’être une drogue. Aujourd’hui, cette voie s’ouvre sur des contradictions. Que dire après avoir criminalisé et pathologisé ? Erreur a été commise, le cannabis n’est pas une drogue ? Après réflexions et délibérations, le peuple est autorisé à se droguer, doucement ? Un changement de statut juridique doit s’accompagner d’un changement de discours. Quelles sont les conditions sous lesquelles certains usages de cannabis peuvent être valorisés au point d’être rendus légitimes ? Dans quels discours le cannabis peut cesser d’être une drogue ? Comment socialiser le cannabis ? Voilà me semble-t-il des questions qu’il conviendrait de prendre en compte et d’explorer.
A l’occasion de cette prise en compte, c’est la question des dangers réels et différentiels des psychotropes qui pourrait être posée, soit une question toute différente de celle posée par le problème de la drogue. S’interroger sur les dangers réels et différentiels des psychotropes permet, contre le problème de la drogue, d’interroger la part respective des propriétés biochimiques et idéologiques des psychotropes dans l’émergence des problèmes combattus.
a considérer que la lutte contre la drogue non seulement ne parvient pas à atteindre ses objectifs mais semble au contraire accompagner la progression des phénomènes qu’elle est censée combattre, on peut avoir des raisons de lutter contre la lutte contre la drogue afin de promouvoir une politique et des pratiques de lutte contre les dangers sanitaires et sociaux liés à la consommation de psychotropes. Nous sommes armés aujourd’hui pour connaître ces dangers. Des théories à visée objective élaborées dans le champ de la biologie et des sciences sociales et humaines permettent d’en saisir les multiples dimensions intriquées. Mais il ne semble pas que soient réunies les conditions permettant à ces connaissances de dominer la mise en œuvre d’une politique cohérente dont les attendus se mesureraient en termes de bénéfices sanitaires et sociaux. Voir dans la drogue un problème, ce peut être alors repérer dans le problème de la drogue des forces et des logiques qui font obstacle à la réalisation d’un tel programme.
[1]Voir notamment France Lert, Méthadone, Subutex in Drogues et médicaments psychotropes. Le trouble des frontières, sous la direction de A. Ehrenberg, Paris, Esprit, 1998.
[2]Pour plus de précision, voir Drogues et toxicomanies. Neurobiologie. Epidémiologie, Dossiers Documentaires, INSERM-NATHAN, Paris, 1993 ou Problèmes posés par la dangerosité des « drogues », Rapport du professeur Roques au secrétaire d’Etat à la santé, Mai 1998.
[3]L’emploi des guillemets pour qualifier l’objet même du rapport établi par une équipe de scientifiques est instructif et éloquent. Non seulement nulle part les auteurs ne s’en expliquent, mais qui plus est, dans le corps du rapport, les guillemets se baladent allègrement : on passe sans transition de la « drogue » à la drogue au fil des chapitres, dans chaque chapitre voire dans la même phrase. Deux exemples parmi d’autres : on lit page 30 que <<L’utilisation des modèles de souris dans lesquelles le gène codant pour une cible des « drogues » (…) a été délété et a permis une clarification du rôle de ces molécules dans la dépendance aux drogues>>. Et en conclusion : <<La consommation des « drogues » augmente dans tous les pays industrialisés. Pour des raisons que nous avons évoquées au début de ce rapport, il est malheureusement peu vraisemblable que ceci baisse brutalement. Le problème des toxicomanies aux drogues doit donc être envisagé au niveau national et européen>>. Il y a bien une logique qui justifie et règle cet usage alterné des guillemets. Mais cette logique fonctionne ici à l’état pratique, elle ne fait pas l’objet d’une analyse scientifique. Ce sont les psychotropes (ou les substances psychoactives) qui sont l’objet d’analyses scientifiques, substances qui sont certes parfois appelées drogues, parfois médicament, parfois drogues-entre-guillemets, parfois…
[4]En règle générale, on qualifie les neuroleptiques, les anxiolytiques, les antidépresseurs, les hypnotiques et les régulateurs de l’humeur de médicaments psychotropes et parfois de médicaments de l’esprit. Compte tenu des éléments d’analyse qui précèdent, l’appellation médicaments psychotropes prête à de nombreux malentendus. La morphine n’appartient pas à la famille des médicaments psychotropes alors que sous prescription médicale, la morphine devient un médicament et demeure un psychotrope. Il est donc des médicaments psychotropes qui ne sont pas classés dans la famille des médicaments psychotropes… Il est utile, pour éviter des confusions, de qualifier ces produits de médicaments de l’esprit, même si la formule, qui présente des avantages, n’est toutefois pas satisfaisante.
[5]Il n’est pas question ici d’idéaliser les politiques menées à l’égard de l’alcool. De nombreuses consommations d’alcool posent de sérieux problèmes, mais on doit remarquer qu’à la différence de la lutte contre la drogue, la lutte contre l’abus d’alcool a permis une très forte diminution de la consommation d’alcool en France.
Artistes et Intervenants :
Breitner Catherine – Laurette Matthieu – Fraser Andréa – Film La fabrique de l’Homme occidental – Estevez Vicky – Paris Clavel Gérard – Panneau de communication – Nakayama Jiro – Pattegay Patrice – Piffaretti Bernard – Rencontres – Richard Lionel – Rouvillois Gwen – Vincent David – TV Zaléa – Tables rondes